Daren avait mal aux pieds à force de marcher sur les talons de son père. Quelques jours auparavant, ils étaient partis de Bruma pour aller fêter le Festival de l’Ancienne et de la Nouvelle Vie à la Cité Impériale, comme ils avaient l’habitude de le faire tous les ans. Plusieurs jours de voyage pour seulement deux jours de fête, c'était beaucoup d’efforts à fournir pour une récompense plutôt médiocre. Daren jeta un regard à Altius à côté de lui, lui aussi avait mal aux pieds. Claudiquant exagérément pour exprimer toute l’ampleur de sa souffrance, il se plaignait sans cesse auprès de son frère qui ne pouvait rien pour lui. Pourquoi n’allait-il pas importuner leur père ? Après tout c'était lui qui marchait aussi vite. Autant Daren arrivait-il tant bien que mal à soutenir le rythme, autant Altius, qui faisait une tête de moins que lui, devait presque courir pour éviter de se faire distancer.
Mais vers où se dirigeaient-ils si promptement ? Sans doute dans cette gigantesque tour immaculée qui se dressait fièrement jusqu’aux nuages. Daren avait beau lever les yeux au ciel pour tenter d’en apercevoir le sommet, la lumière éblouissante du soleil l’aveuglait à tel point qu’il ne voyait plus rien. Son père lui avait dit qu’on l’appelait la Tour d’Or Blanc. Le jeune garçon n’avait pas vraiment compris son utilité mais il n’osait imaginer quel genre d'athlète y habitait pour  avoir la force et la volonté de monter jusqu’en haut. Combien de marches y avait-il là-dedans ? Sans doute des centaines de millions de milliards, pensa innocemment l’enfant.
Daren savait que ce qui les attendait n’allait pas l’amuser. Il savait également que cela ne plaisait guère non plus à son père. Ce dernier disait qu’ils allaient à la rencontre des hypocrites et des orgueilleux de la haute société, qui pensent plus au contenu de leur bourse et à la couleur de leurs vêtements qu’aux véritables problèmes du monde. Cependant, il affirmait fermement qu’il était de son devoir de s’y rendre. Daren ne comprenait pas grand chose de toutes ces histoires, c'était des affaires d’adulte. Lui ce qu'il savait, c'était qu’il allait s’ennuyer et qu’il allait entendre les plaintes de son frère encore tout l’après-midi.
Lorsqu'ils se rapprochèrent du palais érigé au pied de la Tour d’Or Blanc, la foule qui les entourait changea radicalement d’aspect. De badauds flânant dans les boutiques et de fêtards buvant tout leur soûl pour la nouvelle année, il n’y avait plus que des personnes affublées de vêtements volumineux et de coiffures toutes plus compliquées les unes que les autres. Les rires et les chansons avaient été remplacées par un vague brouhaha sans ton ni intérêt.

Daren et Altius tentaient de se frayer un chemin à travers cette forêt de jambes et de corps, suivant tant bien que mal leur père qui passait de convive en convive. Souvent, ils se faisaient bousculer ou marcher sur les pieds par des gens qui ne les avaient même pas remarqué à cause de leur petite taille et qui ne prenaient même pas la peine de s’excuser. Finalement, leur père fut happé dans une discussion avec un homme et sa femme. Daren entendit vaguement leur nom dans le bruit omniprésent qui régnait sur le lieu, Valerus ou Valerius, quelque chose de cette trempe-là. On lui présenta également leur fille, Lyana, qui semblait avoir le même âge.
Daren ne prêta guère attention à la discussion qui s'ensuivit. En vérité, son intérêt fut attiré comme un aimant vers la fillette qui se tenait auprès de ses parents. Elle lui adressa un sourire, qu'il lui rendit, mais il voyait bien dans ses yeux qu'être ici l'ennuyait tout autant que lui. Le jeune garçon jeta d'abord un regard vers son cadet, qui se trouvait derrière-lui, mais celui-ci semblait observer ailleurs, fasciné par quelque chose d'invisible dans la foule. Puis, Daren leva les yeux vers son père qui était apparemment rentré dans une conversation intense avec les parents de Lyana. Parfait. Personne ne semblait prêter attention à eux.
Daren se rapprocha discrètement de la jeune fille pour lui proposer, d'une voix assez basse pour qu'on ne le remarque pas mais assez haute pour qu'elle entende, son idée de génie :
- Est-ce que tu penses qu'on pourrait... S'éloigner un peu ?
Il fit un geste du menton pour lui indiquer une porte de sortie, une rue adjacente dans laquelle se trouvait une multitude de choses bien plus intéressantes : marchands, bardes et diverses spectacles de rue en tout genre. Un endroit loin de cette foule ennuyeuse et de la surveillance de leurs parents. Fausser compagnie à son père et à son frère n'était peut-être pas très gentil, mais c'était pour la bonne cause, n'est-ce pas ?

Codage par Libella sur Graphiorum