Début d'Ondepluies ❖ Wyn & Eirlan

Combien de mois, d’années avait-il passé sans mettre les pieds dans l’auberge de Markarth ? Il ne s’était rendu compte de ce vide et de cette honte que lorsqu’il avait surveillé le réveil de Markarth, après la nuit ensanglantée par les vampires dans les rues. Lorsqu’il avait vu les gardes de sa ville natale défaire la pile de cadavres amoncelés devant les doubles portes de la taverne pour libérer ceux qui s’y étaient réfugiés durant la nuit. Lorsqu’il avait vu le sang qui maculait les pierres de sa ville et la rivière charier ses propres déchets charnels. La nuit l’avait laissé dans un état second, détaché de son corps, et pourtant trop enfoncé dans ses sensations et les chocs successifs. La nuit l’avait laissé tremblant, vomissant, les yeux vagues et l’odeur de souillure et de cauchemar au bord des lèvres. L’épuisement aussi bien magique que physique, et à quel point il semblait prêt à mourir de fatigue l’avait submergé comme une vague de fond ou une tempête de neige, ou la douleur de perdre un membre et de voir sa vie chavirer au bord d’un ravin labyrinthique.

Cela faisait plusieurs semaines que l’attaque avait ravagé Markarth, et il restait encore une liste innombrables d'ouvrages à consulter, d’énigmes à résoudre, de questions sans réponses. Cela attendrait. Bertil avait besoin d’une pause et son assistant était lui-même descendu dans la ville basse, Wyn lui faisant la grâce d’attendre quelques minutes avant le suivre, de faire semblant de pas voir où le jeune homme pouvait passer sa soirée de repos et à quelles affaires. Wyn avait besoin d’une pause. Lorsque les termes se mélangent tellement dans vos prunelles engourdies que les pattes de mouches d’un érudit décédé deviennent des tentacules noires douées de vie dans ses orbites, il est tant de fuir les souterrains avant la claustrophobie, avant la folie. Cela le tiraillait dans sa poitrine, comme si on lui avait accroché un grappin à un ou deux organes importants et qu’on essayait de le tirer vers sa table de travail.

L’air frais du début du soirée, la nuit tombée qui cachait les dernières traces de sang récalcitrant et le nombre ahurissant de flambeaux qui illuminait Markarth depuis l’attaque ( il devait travailler à quelque chose, à mettre en place un luminaire dwemer le long des murs de la cité… demain. ), cela lui faisait du bien. Mais ce qui lui remet vraiment les idées en place, c’est la bouffée de chaleur et de sons en pénétrant dans l’auberge. Le lieu, malgré l’absence de sa mère, le changement des voyageurs, et le vieillissement des piliers de bar, l’auberge lui rappelait l’enfance. Il n’avait pas changé. Le même comptoir en u au centre, le feu de cheminée et le barde, les bancs de pierre est les discussions animées. Ce qui avait le plus changé, c’était qu’un autre gamin blond comme les blés et et les yeux dévorés de curiosité qui couraient aux pieds des adultes pour voler une pâtisserie et des histoires. Wyn s’était installé près du feu sur un tabouret sur lequel il était juché, genoux écartés et jambes glissées sous les trois pattes de bois. Sa part de tarte aux griveboises entamées restait tiède, posée près de la cheminée, en compagnie d’un boc de lait miellé. Nonchalamment appuyé contre le mur de l’auberge, le mage de Markarth se donnait la tâche de prêter l’oreille aux habitants qui s’étaient réunis ce soir là.

Ses traits étaient tirés, et le doré dans ses sclères est scintillant à la lumière des flammes, tandis que les yeux mi-clos, et un large sourire sur les traits, il écoute les différentes discussions. Il laisse leurs vies meubler la sienne faite de parchemins tandis qu’il tire sur la pipe de bois sculpté qu’il a en bouche. La fumée qui sort de la pipe est douce et odorante, les herbes médicinales se transformant petit à petit en braises dans l’espoir d’apaiser la migraine et les courbatures dont il souffre depuis l’attaque. Wyn somnole, grapillant les informations et le sentiment de familiarité. Il se redresse un peu lorsque l’un des hommes évoque son enfance à Markarth. Un poing refermé sur sa cuisse, le semi-breton se tourne sur son tabouret, tordant son buste pour observer l’homme blond qui parle avec assurance non loin;  Sa voix pas plus que ses traits ne lui sont familiers et l’érudit était doté d’une mémoire prodigieuse - certes il avait plus de facilités pour se souvenir de couloirs dwemers identiques les uns aux autres que des visages, intérêt ( ou manque ) oblige, mais quand même. ”- Est-ce que l’on se connaît ?” L’intérêt, la curiosité et l’amusement est réelle, faisant briller ses yeux. ”-  J’ai tendance à oublier mes amis d’enfance. Mémoire de mage.” Il s’excuse à peine d’un haussement d’épaules. “-Tu connaissais Shalnya ?” Il l’avait entendu parler des rougegardes, et ce peuple lui rappelle toujours Shalnya et la troupe métisses qu’elle apportait avec elle chaque année à Markarth, les histoires au coin du feu et les jeux avec son fils adoptif.