La situation n’avançait pas ; elle était enlisée, même, du point de vue d’Erissare. De toute manière, elle ne pouvait pas vraiment avancer dans le sens strict du terme, puisqu’elle ne cèderait pas, et qu’elle était formelle là-dessus. Elle n’avait aucune envie de prêter main-forte à un camp avec lequel elle n’avait quasiment rien en commun contre un camp contre lequel elle n’avait absolument rien ; et cela marchait autant pour les Sombrages que pour la Légion. A moins d’être mise au pied du mur, acculée, dans une situation critique que (elle en était persuadée) personne ne voulait, elle ne cèderait pas. Erissare campait fièrement sur ses positions, restait droite et fidèle à ses valeurs. L’Académie avait toujours été neutre, et elle n’avait pas à prendre part dans ces combats qui n’étaient pas les siens. Avantager l’un ou l’autre camp alors qu’ils n’adhéraient pas aux valeurs de l’un ou de l’autre des belligérants étaient illogiques. Inutiles. Absolument contre-productif.

C’est ce que l’Archimage se disait tandis qu’elle était à son balcon, côté Fortdhiver. Son regard embrassait le petit village, au-delà du pont en ruine de l’Académie, s’attardait que les silhouettes pour la plupart armée qui inondaient la rue principale – et seule rue de la capitale. Capitale, un mot qui ne correspondait plus vraiment à Fortdhiver : qu’il lui semblait loin le temps où la ville, magnifique, fourmillait d’activité et surpassait Solitude. A présent, si Fortdhiver fourmillait, ce n’était pas vraiment pour lui plaire ; la « ville » avait tout simplement doublée de volume et était principalement en arme. Son regard acéré tentait de trouver Valgeir du regard, en vain. Elle était trop loin, ou il n’était pas dehors... Elle devrait sans doute lui rendre visite d’ici peu, voir comment il se portait – voir comment il supportait tout ça. La dernière fois qu’elle avait été le voir, il semblait ne pas apprécier l’état de siège, mais il ne semblait pas non plus en vouloir à l’Académie, au contraire. Elle espérait que son état d’esprit n’avait pas changé, voire qu’il s’était raffermi. Fortdhiver ne pouvait de toutes manières pas rivaliser ou jeter dehors les hommes d’Ulfric par la force mais...

Erissare soupira légèrement, et son regard accrocha une silhouette qu’elle connaissait et qui remontait l’allée vers l’Académie. Pas un mage, cette fois : une ancienne apprentie. Rhaenys, à présent Sombrage, si elle en croyait son armure, ses bannières ; mais elle n’était sans doute que de passage, puisqu’elle ne l’avait jusqu’alors pas vu. L’Archimage glissa une main dans la fourrure d’Elyon, et le Familier à la démarche presque aérienne la suivit docilement tandis qu’elle rentrait en refermant les baies vitrées derrière elle ; elle lissa d’une main les pans de sa robe de mage aux couleurs bleutés, et descendit les escaliers pour sortir de ses appartements et se préparer à accueillir la jeune femme comme il se devait, quoi qu’avec une légère pointe de méfiance au cœur ; elle était à la fois ravie de pouvoir revoir une ancienne protégée, mais elle se demandait si sa venue n’avait pas un rapport avec le siège actuel...

Sa robe bleue battait sur ses mollets, fendu au niveau des cuisses et dévoilant un pantalon d’un bleu encore plus profond. Ses bottes battaient contre la pierre au sol tandis qu’elle dévalait – quoi que calmement et avec une prestance et une attitude d’Archimage-chef-d’Académie plus que d’Archimage-professeur-attentive. Droite, presque hautaine, on reconnaissait bien là l’Altmer qui avait quitté son île pour des régions bien plus froides et rudes – et pour un hiver apparemment éternel lorsqu’elle restait à Fortdhiver. Il lui arrivait parfois de regretter quelque peu le doux climat du pays qui l’avait vu naître, ses plages de sable fin et l’eau qui venait vous chatouiller les pieds, et non pas vous les brûler de froid – oui, brûler de froid, totalement. Elle n’avait jamais perdu sa prestance, juste la fierté mal placée qui semblait accompagner les Altmers, préjugé auquel elle devait souvent faire face lorsqu’une nouvelle personne se présentait à elle sans la connaître. Ca, et, parfois, le sexisme de certain. Heureusement, ce n’était pas le cas aujourd’hui, et elle arrivait à peine au pied de son escalier personnel lorsqu’un mage vint la trouver : on la demandait. Elle le remercia avec un sourire et un signe de tête avant de le renvoyer à ses occupations, et se dirigea vers le grand hall.

« Eh bien, que faites-vous tous ici ? Vous n’avez donc rien à étudier, aucune occupation qui vous attend ? »

Son ton claquait dans l’air, à la fois sec et doux ; elle ne fâchait personne, elle leur faisait simplement comprendre clairement qu’ils avaient assez dévisagé Rhaenys comme cela et qu’il n’y avait plus rien d’intéressant à voir. Elle sourit à son ancienne apprentie, avant de tendre le bras pour lui faire une légère accolade ;

« Rhaenys, je suis ravie de te revoir, même si les circonstances ne sont pas de plus favorables et que ce n’est sans doute pas la nostalgie qui a conduit tes pas jusqu’ici. Suis-moi, nous serons plus à l’aise pour discuter ailleurs que dans le hall. »

L’Archimage conduisit le lieutenant Sombrage jusqu’à une anti-chambre, où elle l’invita à s’installer sur l’une des banquettes tandis qu’elle allumait un petit feu magique sous la théière afin de faire chauffer l’eau pour proposer le thé, des petits biscuits secs attendant déjà d’être mangé sur la table basse près des banquettes.

« Félicitation pour ta promotion, même si la situation est ce qu’elle est, je ne peux que ressentir une certaine fierté lorsque je vois d’anciens apprentis réussir. » sa voix était douce, calme, posée, comme elle l’était toujours, et un léger sourire flottait sur ses lèvres. Elle savait pourquoi Rhaenys était là aujourd’hui, elle aurait difficilement pu se tromper ; et leur petit jeu de négociations avait commencé depuis le moment où elles s’étaient retrouvées face à face. « Je peux te servir du thé ? » demanda-t-elle en s’en servant elle-même une tasse, attendant sa réponse pour venir s’installer à son tour. « Je pense deviner pourquoi tu es là aujourd’hui, et... Tu connais la position de l’Académie. Peut-être peux-tu me raconter un peu ce qui s’est passé pour toi depuis que tu as quitté l’Académie, avant que l’on rentre dans le vif du sujet ? Je suis toujours curieuse de savoir comment vont tous ceux qui ont un jour été mes protégés. »

Erissare ne tentait pas de gagner du temps ; elle en disposait toujours d’assez. Quand on avait dépassé un siècle d’existence, on relativisait un peu tous les évènements qui pouvaient se passer. Evidemment, l’Archimage aurait préféré disposer de plus de temps avant de se faire assiéger, afin de pouvoir repousser les Sombrages ou, tout du moins, réussir à les empêcher de venir. Un doux rêve, certainement, d’autant plus que ce qui était fait... Tout comme l’allégeance de Rhaenys qui semblait irréversible. Une qualité qu’elle appréciait évidemment, la loyauté, même si celle-ci ne l’arrangeait actuellement pas le moins du monde. Erissare restait fière de la réussite de son ancienne élève, fière qu’elle serve ses idéaux tel qu’elle l’entendait, qu’elle reste fidèle à ceux-ci. Mais embêté parce que ses valeurs, actuellement, n’allait absolument pas dans le sens de l’elfe. Pour autant, rien ne servait de perdre son calme, de rentrer dans l’agressivité ou quoi que ce soit : n’étaient-elles pas deux femmes intelligentes et bien élevées ? Elles avaient chacune leurs expériences, leur passé, avaient toutes les deux reniée leur partie d’origine. Erissare comprenait les choix de Rhaenys : mais cela ne voulait pas dire qu’actuellement, elle les soutenait.

« Sois assurée que je suis heureuse et fière de savoir qu’Ulfric a réussi à voir ton véritable potentiel, au-delà même de tes origines. »

Sincère, évidemment. Rhaenys avait été l’une de ses élèves avant toute chose. Après avoir eu son approbation, Erissare donna une tasse du bon thé qu’elle venait de faire infuser, avant de prendre place elle-même face à la jeune femme. Elle savait d’avance que les négociations étaient sans doute peine perdue, autant pour l’une que pour l’autre. Erissare ne changerait pas ses positions, beaucoup trop de choses étaient en jeu avec la neutralité (ou la non-neutralité) de l’Académie.

« De vieux artefacts ? » demanda-t-elle en souriant, curieuse et intéressé. « Je n’ai malheureusement plus cette chance, actuellement. Tu as découvert quelque chose d’intéressant ? »

Elle la laissa ensuite continuer sans la couper, écoutant avec une attention presque maternelle les paroles de la brune, trempant parfois ses lèvres dans son thé, hochant doucement la tête. Honnêtement, elle pouvait comprendre. Elle ne pouvait pas approuver, ni soutenir, mais elle pouvait comprendre. L’elfe pris le temps de reposer sa tasse sur la table, avant de reprendre la parole ;

« Je ne te juge pas, car je comprends tes motivations. Je les comprends mais, comme tu t’en doutes... Je ne peux pas les soutenir, ni les approuver. » elle sourit doucement, en arrangeant un peu ses cheveux, sans se départir ni de son air doux, ni de son calme : « Je sais... Ou je pense deviner pourquoi. Je ne peux pas me permettre de choisir un camp ou l’autre, car aucun des deux ne me convienne, et parce que l’Académie n’a pas à prendre parti dans des querelles qui ne la concerne pas. » Elle reprit une gorgée de thé, avant de se lever pour aller à la fenêtre à côté de Rhaenys et observer pensivement la cours, et les allers et venues des mages et des apprentis. « La cause des Sombrages est noble, mais l’entièreté des valeurs de ton chef ne l’est – à mes yeux – pas. Il ne prône pas l’indulgence, la compréhension... Il n’aime pas les elfes, il supporte difficilement ceux qui ne sont pas Nordiques : tu l’as toi-même remarquer. D’un autre côté, la Légion est, quelque part, l’obligée du Thalmor. Et le Thalmor, sur les mêmes points que je viens de viser pour les Sombrages, est pire encore. Toi qui est si loyale à tes valeurs, tu comprendras sans doute que je ne peux pas prendre position, pour ça comme pour d’autres raisons. »

Les voilà rentrées dans les vifs du sujet ; Erissare reporta son regard sur la jeune femme sans perdre sa bienveillance.