Lona & Wyn

Château-Roche pouvait être silencieux comme une tombe, ou bien laisser résonner les sons dans les méandres des couloirs, avec pour seul cul-de-sac, les lourdes portes de métal orné. Il suffisait de se mettre dans les bons endroits, pour entendre les murmures, tonner la voix du jarl, ou être immergé dans un silence hermétique. Wyn n’avait pas six ans lorsqu’il avait appris à crapahuter dans tout Markarth, se faufiler sur les corniches trop étroites pour les adultes, se figer telle une gargouille pour être oublié, et pourtant être au cœur des actions quotidiennes, dans les pattes de tous, et entendre les bruits familiers de l’auberge, du marché, des mineurs, de la vie de la cité. Il n’aurait pas cru à l’époque qu’il pourrait un jour autant chérir le silence. Et pourtant, il entendait les bruits de voix qui menaient de la salle du trône et du hall du château comme il avait entendu toute la journée les préparatifs de la « réception ». Le jarl, malgré toutes ses qualités et le « profond respect » que lui vouait Wyn pouvait se montrer assez retord pour envoyer ses propres gardes maintenir les portes de son laboratoire ouvert et laisser effluves de cuisines et sons des tables de pierre déplacées par l’occasion arriver jusqu’à lui.
Wyn Ysciele, mage de la cour, ne pourrait rester dissimulé dans son antre cette fois. Il était attendu, et avait un devoir à accomplir – un devoir que son ancien maître avait bien eu du mal à lui inculquer, mais auquel Silfrid se montrait un peu moins revêche. Simplement maladroite. Après un incident concernant une nappe enflammée ( Wyn avait juré sur Julianos avoir un candélabre chuter, en digne mentor qu’il était ) et l’absence remarquée du mage à la cour depuis presque un an, il n’était pas question de se défiler pour laisser la jeune apprentie mage présenter les formulations d’usages aux nobles présents. Pas lorsque la haute-reine et sa cour avaient fait le déplacement jusqu’aux murailles de la Crevasse – la veuve du haut-roi, corrigea Wyn en lui-même, en prenant une longue inspiration, y cherchant un peu de motiv… de courage. Le haut-roi mort, l’Empire s’était déplacé jusqu’à eux, et les soldats s’étaient dispersés dans la ville depuis le matin.

N’étaient-ils pas fidèles à l’Empire ? N’avaient-ils pas dénoncé Ulfric au Thalmor quand cela avait été leur tour ? L’Empire, qui les avait délivrés des Parjures lorsque ceux-ci avaient envahi la Crevasse, en leur envoyant les troupes d’Ulfric lui-même, dans cette rhétorique à laquelle la Crevasse semblait allergique. La rébellion sombrage à l’est de Bordeciel, voir le sud céder aux Parjures, ou se retourner contre l’Empire, et celui-ci finirait de se déliter dans un bain de sang. La prudence de maître Ysciele comprenait leur présence. Le reste de la personnalité de Wyn se désolait de cette journée perdue et de devoir faire bonne figure au monde, lui plus asocial que jamais après des mois à pester d’un même bloc contre son assistante et son ami d’enfance retrouvé. Il ne voulait voir personne, mais il avait un rôle à tenir et il représentait Markarth.

Il avait enfilé sa robe de cérémonie – la robe de mage avec laquelle il ne faisait aucune expérience, et qui, par conséquent n’était pas abîmée et usée par le temps et les frottements. Yildun était reparti depuis quelques semaines. Silfir était de corvée de catalogage et d’archivage. Wyn se retrouvait ainsi seul face à la volée de marche de pierre qui le séparait de la réception dans les quartiers du jarl. Il voyait en haut, la lumière et les bavardages anodins, les odeurs de parfums et d’étoffe lui parvenaient. Lentement, une marche après l’autre, Wyn gravit les escaliers, appuyé sur le bâton gravé qui lui servait de canne – à chaque marche, le mage serrait un peu plus les dents, mais il était largement trop buté pour abandonner ou demander de l’aide ( et à chaque nouvelle marche, apparaissait la difficulté nouvelle qu’il aurait à faire demi-tour un moment ou à un autre. Le plus tôt serait le mieux malgré la douleur sourde qui élançait sa jambe gauche. ). A l’avant-dernière, il se permit un arrêt pour reprendre son souffle, resserrer sa prise sur l’extrémité métallique de sa canne, tirer sur les pans brodés de sa robe et envisage de s’auto-infliger un sort de courage, comme ça, au débotté... Pourtant, il relève le regard, droit et ferme, avant de passer la dernière marche, sans une grimace, malgré ses traits fermés.
Le mage était en retard.

Lona & Wyn

Wyn sent les regards se poser sur le retardataire qu’il est et il traverse la foule sans leur rendre le regard, ses iris daedriques ne se posent sur rien. Ils regardent sans voir – le mage regarde bien droit devant lui, les visages, les capes colorés et les armures d’apparat, mais il ne s’y arrête pas. Il ne se cache pas, mais il ne cache pas non plus qu’il voudrait ne pas être là. L’exercice lui est pénible, et cela le détourne de ses études. Les murs de la grande salle lui sont familiers, les tapis richement brodés usés par les pas, et les marches traîtres que les dwemers ont décidé de mettre absolument partout dans leurs architectures réconfortantes.
Il espérait avoir le temps d’avaler une gorgée d’hydromel et de comparer les tartes à celles de Brynjölf ( de sa convalescence, deux choses lui manquaient : le regard calme et doux d’Yildun sur lui, écartant les cauchemars et douleurs d’une main ferme sur son genou, et les pâtisseries que Brynjölf insérées de force dans sa bouche pour l’empêcher de parler des dwemers, lutter contre le prêtre,  ou alternativement, les envoyer tous les trois, avec Silfir dans l’Oblivion d’une voix éraillée à force de se montrer ingrat et aigri )… avoir le temps de se détendre avant de devoir faire la conversation, et si possible devoir s’excuser de son silence par une bouche pleine et une journée épuisante.

Mais les Aedras ont tendance à se venger des mortels qui les oublient, n’est-ce pas ? Wyn se retourne lentement vers la personne qui l’interpelle, sa surprise augmentant alors que son regard décryptait son allure. Et son caractère totalement inconnu à ses yeux. Noble, aisée, et dotée d’un goût certain en vêtements – malgré le fait que les robes étaient peu appréciées des femmes de Markath… au bout d’un certain nombres de marches gravies par jour, les traînes devenaient des risques mortels. Elégante et un sourire aux lèvres qui devrait le rassurer mais bloque un instant le regard perplexe du mage. Il ne pense à lui rendre son sourire qu’avec un temps de retard. Le sourire est mince, diplomatique alors que son regard froid la jauge machinalement. Le visage du mage a toujours été expressif, et il peut facilement s’illuminer d’un sourire, d’un regard enfantin ou le faire tourbillonner sur place d’enthousiasme son esprit piqué, rajeuni de dix ans et prêt à tout, les yeux pétillants. Ou non, et Lona l’a sans doute abordé dans l’une des pires configurations… juste après l’interruption en pleines recherches.

« - Je m’apprêtais à vous demander si nous étions censés nous connaître et si j’avais oublié votre nom.. » Sa mémoire était sans faille, sauf pour associer des noms et des visages… la distraction était liée au manque d’intérêt pour les mondanités. Il avait mis presque un mois à remarquer son assistance, mais pouvait saluer chaque habitant de Markarth par son prénom. Il esquisse une moue ennuyée et secoue la tête. « - Cela éclaircit déjà ça. » Elle connaissait son nom, son rang, et venait le saluer sans hésitation – alors qu’il ignorait tout d’elle. L’esprit de Wyn, et son front plissé, était occupé à se demander pourquoi diable ferait-elle une telle chose ? Pire encore, parler de lui avec son propre jarl… Wyn faisait son devoir correctement, même si la promesse d’une guerre civile réveillait l’anxiété dans sa poitrine. Et Nels ne se plaindrait pas de la trop longue convalescence de maître Ysciele en public…

Wyn pencha légèrement la tête sur le côté, tandis qu’il reportait, le plus gracieusement possible, son poids sur le bâton qui soutenait son côté gauche. Discrètement. Il se racla la gorge, et demanda poliment, s’efforçant d’être avenant, mais clairement confus et peu enthousiaste quant aux présentations de la jeune femme. « - Puis-je vous pointer quelqu’un d’agréable avec qui converser, ou puis-je vous être utile ? » Pitié pas une potion de contraception, pitié pas une potion de contraception, encore moins un philtre d’amour… Soudainement, Wyn retrouvait le nom d’Hermaeus Mora sur ses lèvres et l’aptitude de l’implorer – ses lèvres murmuraient toutes seules quelque chose du goût de pitié, pas une potion contraceptive, ni un philtre d’amour, je n’en peux plus, tout mais pas ça, je suis pas sorti de convalescence pour faire ça...